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A la suite de sa communication publique, vendredi 22 novembre 2024 lors du symposium annuel de l’Institut des artisans, de justice et de paix du chant d’oiseau (Iajp-co) de Cotonou, le professeur Victor Prudent Topanou a été interpellé sur certaines préoccupations dans l’auditoire, du fait de sa position sur le terrorisme. L’intervention sur laquelle s’est attardé l’universitaire, en répondant, est celle de son collègue de l’opposition parlementaire, Eric Houndété. Ci-dessous le verbatim des deux propos au sujet de cette communication qui a porté sur « Le terrorisme, le développement humain durable et l’avenir des jeunes ». Il faut souligner que pour le professeur Topanou, les actes de barbarie que commettent sporadiquement des groupes armés dans la partie septentrionale du Bénin ne peuvent être désignés par terrorisme parce que derrière, il n’y a généralement pas de revendications politiques. Il assimile plutôt cela à « des réseaux de crimes organisés, ce qu’on appelle encore le grand banditisme ».
Eric Houndété attaque
Les hommes dont on parle, libres ou se promènent entre ces différentes régions. Le constat aujourd’hui, ils s’installent facilement au nord du Bénin parce que justement le sud du Niger et l’autre partie du Burkina sont un peu délaissés par les autres. Donc, il y a un espace qui est créé et qui favorise le développement du phénomène, et il est impossible de dire que ces gens n’ont pas de revendications politiques ou religieuses. Je ne suis pas sûr que ce soit simplement les intérêts économiques qui les y poussent. Je suis convaincu qu’il y a des revendications. D’ailleurs, vous trouvez des extensions de Boko Haram, des extensions d’An sardine dans le nord du Bénin.
Ma deuxième préoccupation est une provocation que je veux faire à dessein. Lorsque vous vous levez du jour au lendemain et vous décidez que les partis politiques existants n’ont plus droit de cité et qu’il leur faut un certificat de conformité, que vous décidez de ne pas donner, c’est un acte de violence intellectuelle et politique. Or, le terrorisme est caractérisé entre autres par la violence. Lorsque vous vous réveillez un matin, vous regardez l’espace politique et vous décidez que désormais, en violation de la Constitution et vous appuyant sur la force de la Cour constitutionnelle et d’un Parlement que vous occupez massivement, vous décidez que désormais pour être qualifié à siéger au Parlement, il faut avoir 20% dans chaque circonscription, c’est de la violence. Ça n’a pas l’air, parce que vous savez que lorsqu’arrive le moment de mettre œuvre, personne n’acceptera, appelons un chat un chat.
Ça ne se comprend pas, ça ne s’est jamais produit qu’on ait un parti au Bénin qui ait 20% dans toutes les circonscriptions… Donc, vous êtes dans la conspiration de la violence. Un Etat qui se comporte comme ça est un Etat qui est dans du terrorisme d’Etat, appelons un chat un chat. Il s’appuie sur les forces qu’il a, qui sont des forces républicaines, pour provoquer les populations. L’une des caractéristiques, c’est l’inimaginable, l’inattendu. Et c’est ça que nous avons. Personne ne peut apprendre qu’un régime normal dans une démocratie normale met en œuvre des dispositions comme celles-là. Donc on fait le lit au terrorisme. On fait du terrorisme intellectuel et politique. Parce que la violence n’est pas que physique. Le terrorisme, c’est la perturbation de la quiétude. Lorsque les gens sont en pleine quiétude et vous venez les perturbez, vous êtes dans du terrorisme surtout que cet acte qui est posé, ce n’est pas au hasard. C’est sur le fondement d’une identité politique.
C’est-à-dire que quelqu’un se lève, il dit ‘’moi, je ne veux pas avoir plus de deux partis politiques à l’Assemblée nationale ou je ne veux pas avoir plus d’un parti à l’Assemblée nationale ou je ne veux avoir qu’une Assemblée monocolore. Et pour y arriver, voici ce que je fais. Il l’a fait en 2019, il n’a pas réussi en 2023 ; il tente de le faire en 2026. In’challah, comme je l’ai dit, ce sera une Assemblée monocolore d’un parti qu’il ne souhaite pas avoir. Je vous remercie.
Réplique de Victor Prudent Topanou
(…) Si on ne peut plus respecter la différence, on est foutu. Le piège dans lequel je ne voulais pas tomber et dans lequel je vous ai tous trouvés, c’est la dilution du concept. Vous mettez tout et son contraire dans ce concept. Ça part de la transnationalité jusqu’aux régimes politiques nationaux, au niveau des parents, des intellectuels, on trouverait le terrorisme. Mais ce n’est plus du terrorisme ! Quand on est universitaire, on a l’obligation de la définition ; on circonscrit son objet dans lequel on évolue. C’est pourquoi, avant d’aller loin ; j’ai essayé de circonscrire le thème tel que je le concevais. Si vous sortez de ce thème, on ne va jamais s’entendre.
Si évidemment le fait de prendre une loi et dire 20% c’est du terrorisme, et vous (l’auditoire NDLR) avez applaudi, banco ! Si parce que, et ça je le note partout où je passe, la caractéristique de notre société, c’est le refus de la critique. Je ne connais pas beaucoup d’intellectuels africains qui acceptent la critique. Une fois qu’ils ont parlé c’est définitif. Mais comment voulez-vous progresser dans ces conditions ?
C’est quoi la fameuse société africaine dont on parle, et puis on parle de l’arbre à palabre ? Oui, je veux bien, mais dans la réalité ceux qui rêvent de l’arbre à palabre, ceux qui parlent de l’autorité, c’est des gens qui rêvent d’une société qui n’existe plus. C’est comme si la société africaine était restée statique, bloquée au XVè siècle qui n’a jamais évolué.
Et pourtant tous les jours que Dieu fait la société évolue. Je mets quiconque à défi de me dire que la société béninoise de 2024 est la même que la société politique béninoise de 1960. Ce n’est pas possible, et il n’y a aucune société au monde qui soit statique. Nous ne voulons juste pas appréhender (…). Vous rentrez dans un débat de valeurs. On n’a pas les mêmes valeurs. Pourquoi ne pas acceptez que tout le monde n’a pas les mêmes valeurs ? (…). Moi, j’ai actuellement un peu plus de 25 ans de carrière universitaire, j’ai opté pour une ligne personnelle que j’assume. Je pense ma société, je ne projette plus une autre société sur la mienne. En début de carrière, je faisais ça. Vous ne pouvez pas parler quelque part sans citer dix à quinze auteurs tous européens, dans le meilleur des cas Américains quand on comprend un peu Anglais. On ne pense pas notre société. On ne peut pas la penser à partir des outils des autres. Nous n’avons pas le même environnement culturel, nous n’avons pas le même environnement social. Evidemment, ça arrange les autres qu’on utilise leurs méthodes pour penser nos sociétés parce qu’on est sûr qu’à ce moment-là on établit une certaine dépendance durable. Moi, j’ai opté pour ne plus le faire. C’est un choix. Et c’est parce que j’ai fait ce choix-là que vous ne me comprenez pas.
Pour moi le terrorisme, ce n’est pas ça. (…) Et si vous n’arrivez pas à circonscrire les contours du terrorisme, vous n’arrivez pas à le combattre (…). Ça ne veut pas dire que je n’ai pas de pitié pour ceux qui meurent. On peut aussi mourir du grand banditisme. On meurt aussi des crimes organisés. Mais la pitié est la même pour ces victimes que ceux qui sont victimes du terrorisme. Et l’un des reproches qui m’a été faits, c’est d’avoir sous-estimé la dimension religieuse. Je l’ai fait à dessein parce que l’analyse du terrorisme aujourd’hui, telle qu’elle nous est servie par l’Occident chrétienne, stigmatise l’islam. Mais, moi je connais beaucoup de Béninois qui sont musulmans et qui n’ont rien à voir avec le terrorisme. Il y a même des gens qui sont voilés au Bénin mais qui ne sont pas dangereux. Je pense ma société. Evidemment, si je plaque sur ma société les prismes d’analyse tels qu’ils nous viennent de l’Occident, oui je vais les condamner, je vais demander à ce qu’on ne porte plus des voiles dans l’espace public, je vais demander à ce qu’on ne porte plus les croix à l’université, dans les amphithéâtres, etc. (…) C’est le même problème que le problème de la population. On considère que nous avons une démographie galopante. Oui, et après ? (…)
Il y a un vrai problème à notre niveau, nous les intellectuels. C’est qu’on ne sait pas penser notre société avec nos instruments. On nous donne le sentiment qu’on n’a pas d’autres choix que d’aller chercher des outils d’analyse ailleurs. Les outils qui ont été créés dans des contextes différents, et pourtant, nous on l’applique. Si on continue comme ça, on va être une société en perdition (…). Effectivement j’assume le fait que sur certaines attentes vous ne soyez pas satisfaits. C’est moi, voilà ! Je ne peux pas faire autrement. On ne m’a pas dit de venir ici critiquer le régime Talon. (…) Vous ne me verrez pas sur ce terrain-là (…) Donc c’est un peu ça le piège que je vous avais tendu, et je regrette que vous soyez tombés dedans. C’était mon approche qui voulait que je vois les choses autrement. Je vous remercie.
Transcription ADN